Jean-Michel LECLERCQ (Texte)et MArie MAHLER (Illustration), J’habite ici aussi, CFC, 2022, 46 p., 15 €, ISBN : 978-2875720795
Depuis quelque temps, on découvre des photos et des anecdotes de rencontres d’animaux et d’humains en pleine ville. Le monde sauvage et le monde urbain coexisteraient-ils ? Telle maison communale filme les rapaces installés sur son toit, telle autre cherche des solutions pour éloigner les renards des poubelles. Nos villes bruissent et servent de cachettes à cet autre monde. MArie MAlher et Jean-Michel Leclercq ont compris. « Ils habitent ici aussi ». C’est ce que nous raconte leur livre. Album témoignage. Continuer la lecture


Anne Richter a quinze ans lorsqu’elle rédige les dix-sept contes rassemblés dans le recueil, La fourmi a fait le coup, réédité aujourd’hui par Samsa.
Millie n’a qu’une phrase en bouche : « Est-ce que je pourrais avoir un chien ? ». Jour après jour, elle pose inlassablement la même question. Peu lui importe quelle sorte de chien, grand, comique ou à poils longs, l’essentiel est qu’elle en ait un ! Tout aussi inlassablement, sa mère lui répond non, jour après jour, en la trainant à l’école comme un toutou. Il faut dire que Millie y va avec les pieds de plomb, à cette école nommée « Les Trois Couronnes », établissement select dans lequel la petite ne semble pas trouver sa place. Pas étonnant, puisque toutes ses petites camarades font partie du Club des dogs. Et bien entendu, pour en faire partie, il faut avoir… un chien.
Dans cette nouvelle édition augmentée de Quand le loup habitera avec l’agneau, Vinciane Despret interroge les transformations mutuelles produites par les rencontres entre les primates, les perroquets, les corbeaux, le monde animal et les éthologues, les primatologues. Les récits portés sur les animaux ont changé au cours des dernières années. Alors que des préjugés, des a priori enfermaient les moutons dans l’image d’êtres dociles, moutonniers, on leur a découvert une intelligence sociale élaborée. Plaidant pour la continuité des formes du vivant, des primates aux humains, Darwin a cherché des candidats primates témoignant de notre origine. Un des candidats, compatibles avec la théorie de l’évolution et de la sélection naturelle fut le babouin. Enrôlé dans un protocole devant nous aider à comprendre notre origine, le babouin mâle a peu à peu été perçu comme belliqueux, compétitif, dominant. Or, des naturalistes ont par la suite montré que, loin d’être pris dans des liens de compétition, les babouins mâles s’intégraient dans une société vertébrée par l’amitié avec les femelles.
Comment déterritorialiser les pratiques scientifiques, sortir de l’attention exclusive à l’universel pour s’ouvrir aux récits des individualités animales ? Comment tenter de penser en oiseau et non sur eux ? Dans Habiter en oiseau, Vinciane Despret, auteur d’une œuvre décisive qui décloture les savoirs et secoue leur anthropocentrisme (Quand le loup habitera avec l’agneau, Être bête, Penser comme un rat, Au bonheur des morts….) nous livre un voyage éthologique au pays des oiseaux. Au nombre des réquisits de sa démarche : une exploration de modes d’attention négligés par les scientifiques, un éloge de la lenteur, du « ralentir », un déplacement des questions que l’on pose aux animaux observés. Écouter les chants du merle, comprendre les mondes que les oiseaux construisent, leurs rapports au territoire implique de s’attacher à des « histoires de vie d’oiseaux individuels ». 

Depuis le milieu des années 1990, l’antispécisme s’est imposé comme un courant de pensée important en Occident. Cette vision du monde consiste à refuser l’idée qu’une soi-disant « espèce humaine » puisse se revendiquer différente, notamment sur le plan moral, d’une soi-disant « espèce animale », et se prétendre supérieure au point de s’arroger le droit d’exploiter la seconde. Les antispécistes assimilent l’humain à un « animal comme les autres », rejettent la distinction nature-culture, et se conforment à un mode de vie en adéquation avec leur éthique – dont l’indice le plus évident est l’adoption d’un strict régime végane – par respect envers ces frères inférieurs, utilisés comme matériau d’expérimentation en laboratoire, indûment instrumentalisés au gré de nos humeurs, victimes enfin d’un massacre organisé à dimension industrielle avant conditionnement et consommation.
« Quoi ? Moi, l’agnostique, la logique, la sensée, la raisonnable, la raisonneuse, je deviendrais l’espace de quelques heures une Alice qui, au lieu de traverser les miroirs, passerait, qui sait, par des trous de serrure ? »
À la fois atypique et militante inconditionnelle du parti de la vie dans tous ses états, Christine Van Acker use de nombreux registres pour assumer sa créativité et servir sa vision du monde. À partir d’un amour aussi tenace que trop souvent déçu pour son espèce, ses gammes vont de l’humour et de l’autodérision à l’ironie positive, à la parabole futée et jusqu’au surréalisme d’une éclairante excentricité. Avec La Bête a bon dos, l’exploration de l’univers animal la met en vacances de l’humain – enfin, presque… Avec pour carburant la vertu cardinale des vrais découvreurs : le perpétuel étonnement. Mais, est-ce pour nous effrayer qu’elle mobilise presque d’entrée de jeu le microscope et le jargon savant du bio-généticien pour évoquer la résistance du « royaume du vivant » face à « l’empire de l’inanimé » ? « L’eucaryote ne comprendra jamais comment un procaryote, tout à la joie de laisser son ADN barboter nu comme un ver, accompagné de nombreux ribosomes dans un bain cytoplasmique partagé, arrive à survivre sans la protection des parois du Noyau. » Encore faut-il préciser que « Le domaine des eucaryotes (…) regroupe tous les organismes unicellulaires ou pluricellulaires qui se caractérisent généralement par la présence d’un noyau et de mitochondries dans leurs cellules ».
Il s’en passe des choses dans la nature. Des choses que l’on n’imagine pas, que l’on ne veut pas voir, ou que l’on nous cache parce qu’elles rendraient chèvre l’ordre établi. Celui, par exemple, de la différence entre les hommes et les femmes, cette fameuse différenciation sexuelle qui serait le dernier rempart contre la confusion identitaire, l’ultime argument pour défendre la famille traditionnelle. Que n’a-t-il pas fallu entendre, en France, au moment des débats pour le mariage pour tous – et toutes ! Quelles couleuvres n’a-t-il pas fallu avaler ! Même si, au fond, on peut être d’accord avec Juliette Gréco quand elle chante « La nature complique jamais inutilement / Y’a que les hommes pour s’épouser ». Mais la nature est plus égalitaire que la société humaine ; dans le règne animal c’est : le non-mariage pour toutes et tous. 