Archives par étiquette : Le Seuil

Décomposition paternelle

Un coup de cœur du Carnet

Stéphane MALANDRIN, Je suis le fils de Beethoven, Seuil, 2020, 19.50 € / ePub : 13.99 €, ISBN : 978-2-02-146347-7

Remarqué pour Le dévoreur de livres (2019), Stéphane Malandrin a impressionné plus d’un lecteur par ses qualités de jongleur de mots et son imaginaire coloré qui lui ont sans doute valu d’être sélectionné pour le prix Goncourt du premier roman. Voici que cet homme de cinéma franchit avec Je suis le fils de Beethoven le cap réputé périlleux du second sans rien avoir perdu de sa verve et nous entraîne sur les traces du grand compositeur allemand par le récit de celui qui se présente comme son fils, Italo. Mais comme cet enfant en quête de racines ne porte pas le nom du génie musical, il nous gratifie d’un aperçu de la vie de ses ancêtres Zadouroff. Continuer la lecture

Benzine : le livre de sa mère

Rachid BENZINE, Ainsi parlait ma mère, Seuil, 2020, 91 p., 13 € / ePub : 9.49 €, ISBN : 9782021435092

Ainsi parlait ma mère, de Rachid Benzine : un court roman qui a tout d’un grand livre. Une déclaration d’amour à une mère par son fils cadet. Et un hommage à toutes ces femmes exilées, héroïnes du quotidien, qui ont porté leur(s) enfant(s) à bout de bras pour qu’il(s) puisse(nt) s’épanouir en terres étrangères. Ainsi parlait ma mère, de Rachid Benzine : un court roman qui a tout d’un grand livre. Une déclaration d’amour à une mère par son fils cadet. Et un hommage à toutes ces femmes exilées, héroïnes du quotidien, qui ont porté leur(s) enfant(s) à bout de bras pour qu’il(s) puisse(nt) s’épanouir en terres étrangères. Continuer la lecture

Le roman, cette fable du siècle

Pierre MERTENS, Les bons offices, Seuil, coll. « Points. Signatures », 2019, 564 p., 11.40 €, ISBN : 9-782757-881699

On ne soulignera jamais assez combien la littérature francophone de Belgique, lorsqu’elle est mise en valeur dans des éditions de prestige, retrouve la place qui lui revient, dont les effets de mode ou de réputation, et l’absence de vraie promotion l’éloignent trop souvent. Comme d’autres écrivains belges – les « référents » historiques, comme De Coster, Lemonnier , Plisnier, mais aussi les contemporains comme Harpman, De Decker, Jones, Ayguesparse pour n’en citer que quelques-uns parmi les romanciers et nouvellistes –, Pierre Mertens a pris place parmi les « classiques » de la littérature française.  À son œuvre, dont on voit aujourd’hui avec le recul des années, et au terme d’une quinzaine de romans et recueils de nouvelles, l’importance et la cohérence, il manquait d’entrer dans une collection patrimoniale internationale de référence. C’est chose faite dorénavant, au moins pour un des romans, Les bons offices, les plus significatifs de la bibliographie mertensienne. Le Seuil a été particulièrement bien inspiré de l’insérer dans sa prestigieuse collection de poche « Signatures ». Elle réunit quelques figures de proue, dont les œuvres sont autant de balises incontournables lorsqu’il s’agit pour la littérature de prodiguer les indispensables instruments de compréhension du monde. Continuer la lecture

Au grand jeu de la société-écran

Myriam LEROY, Les yeux rouges, Seuil, 2019, 192 p., 17 € / ePub : 11.99 €, ISBN : 978-2-02-142905-3

L’univers des réseaux sociaux et des échanges écrits qui s’y déroulent inspire peu à peu les auteurs de romans, donnant une nouvelle forme d’expression au genre épistolaire de longue date exploité par les gens de lettres. Correspondance réelle ou simple prétexte à une mise en forme d’un récit, il est pratiqué dans Les yeux rouges sous une variante seconde, dans la mesure où la narratrice nous relate le contenu des envois reçus sans nous les livrer donner in extenso. Continuer la lecture

Festin rabelaisien de mots et de vélins

Un coup de cœur du Carnet

Stéphane MALANDRIN, Le mangeur de livres, Seuil, 2019, 191 p., 17 € / ePub : 11.99 €, ISBN : 978-2-02-141454-7

Il n’est pas fréquent d’avoir sous les yeux un roman qui soit une vraie surprise. Par le thème et l’écriture, Le mangeur de livres, premier roman de Stéphane Malandrin, réalisateur et scénariste français installé à Bruxelles, nous a apporté ce bonheur. Continuer la lecture

(Sur-)vivalisme, collapsologie et collapsosophie

Pablo SERVIGNE, Raphaël STEVENS, Gauthier CHAPELLE, Une autre fin du monde est possible. Vivre l’effondrement (et pas seulement y survivre), préface de Dominique Bourg, postface de Cyril Dion, Seuil, coll. « Anthropocène », 2018, 334 p., 19 € / ePub : 13.99 €, ISBN : 9782021332582

Une autre fin du monde est possibleAprès le remarqué Comment tout peut s’effondrer sorti en 2015, les ingénieurs agronomes Pablo Servigne, Gauthier Chapelle et l’écoconseiller Raphaël Stevens,  « chercheurs in-Terre indépendants »,  poursuivent leurs réflexions dans un essai qui prolonge la « collapsologie » (dont ils sont les pionniers) en une collapsosophie. L’axiome des collapsonautes se définit comme « apprendre à vivre avec », avec la catastrophe en cours, avec la débâcle environnementale, avec l’effondrement de la société actuelle. De ce diagnostic condensé dans le vocable de collapsologie découle la mise en œuvre d’une éthique, d’une collapsosophie. S’appuyant sur un tableau clinique précis, incontestable (l’humanité menacée d’extinction dans le sillage de l’hécatombe de la biodiversité), les auteurs proposent des pistes fécondes qui réconcilient « méditants » et « militants », qui explorent l’idée de ré-ensauvagement, de nouvelles manières de coexister avec les non-humains, d’habiter la Terre.


Lire aussi : un extrait d’Une autre fin du monde est possible


Continuer la lecture

Le roman freudien

Lydia FLEM, La vie quotidienne de Freud et de ses patients, Préface de Fethi Benslama, Seuil, 2018, 336 p., 23 € / ePub : 16.99 €, ISBN : 9782021370751

flem la vie quotidienne de Freud et de ses patientsOn mesure toute la nouveauté de La vie quotidienne de Freud et de ses patients à l’occasion de sa réédition plus de trente ans après sa parution. À une époque où les études psychanalytiques étaient placées sous le signe de la théorisation, où l’œuvre lacanienne, son « retour à Freud », imposait sa puissance, ses réorientations —structuralisme, topologie… —, la psychanalyste Lydia Flem fraie une nouvelle approche de l’inventeur de la psychanalyse, de ses avancées conceptuelles, de ses patients, de son époque. Continuer la lecture

Devant soi, vingt ans de bon

Un coup de cœur du Carnet

Ariane LE FORT, Partir avant la fin, Seuil, 2018, 173 p., 17 € / ePub : 11.99 €, ISBN : 978-2021385540

le fort partir avant la finLe précédent roman d’Ariane Le Fort datait de 2013, et la lauréate du Prix Rossel 2003, qui publie avec une certaine parcimonie, nous propose chaque fois un travail précis, d’une écriture retenue et rigoureuse, avec un sens du concret le plus réaliste empreint de tact, de tendresse et d’ironie, et un désenchantement qui ne se prive cependant pas du goût de vivre. Partir avant la fin qui vient tout juste de paraître au Seuil s’entend dès l’abord à double entrée, laissant penser à une décision de quitter cette vie avant sa décrépitude ou de rompre une liaison avant la déception. Et le roman croise en effet et fait se rejoindre les deux thématiques d’une mère perdant peu à peu la mémoire mais obstinée à vouloir marcher dans la mer sans s’arrêter pour s’y noyer, et d’une femme entre deux amours qui a le chic, dit-elle, de remplacer une illusion par une autre. Continuer la lecture

Pour Gilberte cette fois

Jacques DUBOIS, Le roman de Gilberte Swann. Proust sociologue paradoxal, Seuil, 2018, 227 p., 20 € / ePub : 14.99 €, ISBN : 978 -2-02-137058-4

dubois le roman de gilberte swannDans Tout le reste est littérature, un volume d’entretiens avec Laurent Demoulin, Jacques Dubois déclare avoir abordé Proust assez tardivement, dans son parcours de lecteur et dans sa carrière de professeur d’université. Mais il a ressenti cette rencontre comme un coup de foudre, via la belle Albertine, ajoute-t-il. Par extraordinaire, ce coup de foudre dure encore, même si la critique amoureuse a fait place à une relecture savante et suprêmement littéraire. Après avoir décrit une aventure plus que sentimentale, dans Pour Albertine, déjà sous-titré Proust et le sens du social (Seuil, 1997), ensuite dans Figures du désir. Pour une critique amoureuse (Les Impressions nouvelles, 2011), le voici qui revient sur une autre figure féminine majeure de à la recherche du temps perdu, Gilberte. Tout un programme dans ce dernier ouvrage paru au Seuil : Le roman de Gilberte Swann. Proust sociologue paradoxal. Continuer la lecture

Entre Zinzolin (385) et Andrinople (365), la vie ne tient qu’à un fil (303)

Lydia FLEM, Je me souviens de l’imperméable rouge que je portais l’été de mes vingt ans, Paris, Seuil, 2016, 256 p., 17 €/ePub : 11,99 €

flemJe me souviens d’un précédent livre de Lydia Flem, Comment j’ai vidé la maison de mes parents.

Je me souviens que je l’avais beaucoup aimé, moi qui ne sais me séparer de rien.

J’ai souri en lisant les premiers souvenirs évoqués dans ce Je me souviens de l’imperméable rouge que je portais l’été de mes vingt ans qui ouvre la boîte de Pandore. Continuer la lecture

De l’amour comment parler ?

Un coup de coeur du Carnet

François EMMANUEL, 33 chambres d’amour, Paris, Seuil, 2016, 192 p., 17 €/ePub : 11,99 €

emmanuelLes écrivains belges ont une prédilection pour les chambres. Qu’ils en situent trois à Manhattan (Simenon), qu’ils les garnissent de miroirs pour y poursuivre leur expérience continue (Nougé), qu’ils y observent la nuit remuer (Michaux), dans leur imaginaire, ces espaces clos s’ouvrent sur tous les possibles. François Emmanuel s’est, lui aussi, laissé happer par l’attraction camérale et nous emmène dans une ronde tout à tour sensuelle, érotique, charnelle, déclinée en trente-trois portraits de femmes. Continuer la lecture

De la littérature considérée comme invention

Jean-Pierre BERTRAND, Inventer en littérature. Du poème en prose à l’écriture automatique, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 260 p., 25 €/ePub : 17,99 €

Cartographier un genre, établir l’arbre généalogique d’une œuvre, retracer la trajectoire d’un écrivain, autant d’entreprises qui exigent déjà beaucoup de la part de qui s’y lance. Mais cerner un concept littéraire, voilà qui relève presque du tour de force, tant la matière à réflexion est trop fluente pour être véritablement appréhendée dans sa dynamique et saisie dans sa logique intrinsèque. Continuer la lecture

Une traversée en suspens

Jeannine PAQUE

emmanuel_paqueComment traverser l’épreuve de la mort quasi annoncée, redoutée et que l’on veut repousser malgré l’impuissance ? C’est ce qu’a cherché à comprendre et à communiquer François Emmanuel, dans son dernier roman, Le sommeil de Grâce. Continuer la lecture

Créer à deux

Un coup de coeur du Carnet

Luc DARDENNE, Au dos de nos images, II, 2005-2014. Paris, Seuil, coll. « La librairie du XXIe siècle », 2015, 390 p., 21 €/ePub : 14.99 €

dardenne_larocheEn 2005 parait au Seuil un livre de témoignage intitulé Au dos de nos images (1991-2005), suivi de deux scénarios : Le fils et L’enfant (voir dans Le Carnet et les Instants n° 139 l’entretien de Daniel Arnaut avec l’auteur, Luc Dardenne). Dix ans plus tard, voici un 2e volume, couvrant les années 2005 à 2014, et que complètent deux autres scénarios : Le Gamin au vélo et Deux jours, une nuit. Continuer la lecture

Là où des choses nouvelles peuvent avoir lieu

Charly DELWART, Chut, Paris, Le Seuil, 2015, 171 p., 17 €/ePub : 11.99 €

delwartCe n’est un secret pour personne – ce serait même enfoncer des portes grandes ouvertes : nos mondes sont en mutation. Nous donnent parfois – souvent – l’impression de vivre dans une époque au bord du gouffre, où tout s’effondre, nos croyances et aspirations collectives, nos façons de penser l’État, le « vivre ensemble », notre confiance jusqu’alors, disons, aveugle dans nos institutions sociales, politiques, économiques, judiciaires, etc.

Continuer la lecture