Jean-Philippe TOUSSAINT, L’échiquier, Minuit, 2023, 250 p., 20 € / ePub : 13,99 €, ISBN : 978-2-7073-4885-2
Cela pourrait commencer par une case, ou une date, la soirée du 12 mars 2020, et un lieu, Bruxelles. La première ministre belge vient d’annoncer le confinement du pays, pour cause de Covid. Quatre jours plus tard, c’est le cas également chez nos voisins français. Et l’on pourrait penser, ouvrant L’échiquier, nouveau livre de Jean-Philippe Toussaint, qu’il a cédé comme tant d’autres, écrivains, artistes, musiciens, scientifiques, chroniqueurs… à la tentation compréhensible de raconter son histoire du Covid, cet envahissement inconnu jusque là – ses tragédies et les bouleversements en chaîne de nos comportements pour y faire face. Continuer la lecture

927, 3 chiffres en titre pour condenser tout un roman. 927, 3 chiffres auxquels on a tenté de réduire la vie et l’art d’un homme. 3 chiffres qui cachent toute l’émotion qui se dégage à la lecture des mémoires de cet homme, Lôc Vàng, chanteur de Nhac Vàng (Musique jaune, d’or), genre musical vietnamien qui n’est pas sans rappeler le boléro et parle d’amour, de cœurs brisés, de la condition humaine et qui fut interdit par le pouvoir communiste dans les années 60. 927 n’est pas le titre de ces mémoires mais celui du nouveau roman de Tuyêt-Nga Nguyên dont ils sont une part. Nous expliquons. 


Le vers de Hölderlin, « pourquoi des poètes en temps de détresse ? », ne cesse de sauter de siècle en siècle, de convoquer les poètes à y répondre, à tout le moins à s’y affronter. Figurant dans le poème élégiaque « Pain et vin », ce « Wozu Dichter in dürftiger Zeit ? » se décline sous la plume de Timotéo Sergoï. Que peut la poésie face au covid-19, quelles ressources individuelles et collectives nous propose-t-elle lors des confinements ? Comment une poésie hors quarantaine peut-elle déconfiner les corps et désincarcérer les esprits ? Durant les cinquante jours de confinement s’étalant du 20 mars au 8 mai 2020, le poète, comédien, artiste, voyageur Timotéo Sergoï a lancé à près de deux cents personnes un poème-gravure quotidien, un objet poétique, une bouteille ivre de mots, ciselée dans un esprit de résistance et de solidarité. Il faut que tu me comptes parmi nous nous délivre des créations qui s’élèvent comme autant de contre-feux à un quotidien plombé à l’intérieur duquel elles dessinent une brèche. Il s’agit moins d’un manuel de survie en milieu hostile qu’une volte-face rompant avec la résignation et le nihilisme, qu’un témoignage d’une vie enfermée, cadenassée dans un état d’exception qui tend dangereusement à s’inscrire dans le régime sociétal, à devenir la règle.
Un titre tel que Confidences est sans danger, voire courant, mais il est intimement engagé, jamais innocent. D’autant que sur la couverture, un cœur noir aux traits clairs est mis sous cloche de verre et posé sur sa base rouge sang. Nulle doute que Gwen Guégan, bruxelloise de cœur et bretonne de corps, se montre ici sans peur et sans reproche, et frontale : toute de contrastes forts, de lignes nettes et limpides en noir et banc surtout, ou en trichromie tout au plus : noir, blanc et rouge ou bien noir, blanc et un turquoise profond.
Recueil de textes et de dessins qui tient tant du journal de bord que du pamphlet, le nouveau titre d’Aurélie William Levaux est éminemment politique. Les Nouveaux ordres est une critique toute personnelle de la gestion de la pandémie par les états belges et français principalement, il est aussi et surtout une réflexion sur la (privation de) liberté et sur notre rapport aux élites dirigeantes. 
Il faut nommer pour appréhender. Chaque récit porte ici le titre d’un ou deux prénoms, à quatre exceptions près. Soit trente portraits courts. Autant de vies croquées, à crans et à crocs du microbe. Restez chez vous ! Portes closes. Voilà bien l’inhumaine injonction imposée par un virus couronné maître du monde depuis le printemps dernier. Maintenant, c’est l’automne et les vies virevoltent en tombant comme des feuilles sous la plume de Marc Chambeau qui ne craint pas l’anticipation. 
Loin des indigestes journaux de confinement qui ont accompagné la Covid-19 comme son ombre, loin de l’avalanche d’essais plus ou moins éclairés, se contentant le plus souvent de surfer sur la vague de l’opportunisme, dans Le livre au temps du confinement, Tanguy Habrand analyse avec brio les impacts de la crise covidienne sur la chaîne du livre. Davantage que s’en tenir à une radiographie des manières dont l’industrie du livre a fait face, s’est adaptée (ou pas) au confinement, Tanguy Habrand appréhende la crise sanitaire comme un révélateur, un « analyseur » écrit-il, des champs du monde culturel, plus largement du monde socio-politique. La pandémie posée en « analyseur institutionnel » a permis de mettre à nu le fonctionnement de la république du livre.
C’est le mystère du mal (…) pour une fois les « politiques », dos au mur, osent enfin agir et faire leur devoir.

