Archives de catégorie : Dossiers du Carnet

Couleur et nostalgie du ciel

Un coup de cœur du Carnet

Michel LAMBERT, L’adaptation, Pierre Guillaume de Roux, 2018, 264 p., 22,90€, ISBN : 2-36371-248-6

lambert l adaptation.jpgUn réalisateur, couvert d’un éternel chapeau, cherche sur les toiles d’une galerie d’art un ciel introuvable, une couleur et une atmosphère célestes qui devraient guider son prochain film. Il travaille sur l’adaptation d’une œuvre qui l’a profondément marqué : La jeune fille brune d’Alexandre Tišma. Sa femme Marion, décédée depuis cinq ans, lui avait fait découvrir ce roman. Comment adapter un récit durant lequel un homme cherche désespérément à revoir une femme avec qui il a passé une seule et unique nuit ? Comment transposer cette quête, ce fantasme qui s’efface petit à petit de sa mémoire, cette passion dévorante qui s’étale sur plusieurs décennies, cette course contre le temps et la peur du vieillissement ? Le réalisateur fait face à certaines difficultés, notamment le caractère hautement littéraire de l’ouvrage. Il n’a pas dit son dernier mot, mais peut-être est-ce son film de trop ? Des mauvaises langues le disent fini. Il accuse les refus des producteurs. La profession est intraitable avec ceux qui échouent. Continuer la lecture

Liberski Roma

Un coup de cœur du Carnet

Stefan LIBERSKI, La cité des femmes, Albin Michel, 2018, 280 p., 19 € / ePub : 12.99 €, ISBN : 978-2-226-40218-9

liberski la cite des femmesSept ans après son dernier roman, Le Triomphe de Namur (La Muette, 2011), l’écrivain, cinéaste, bédéiste et homme de télévision Stefan Liberski publie La cité des femmes aux éditions Albin Michel.

La cité des femmes, c’est un film de Federico Fellini sorti en 1980. Mais c’est donc aussi, désormais, le titre d’un roman de Stefan Liberski : l’histoire d’un jeune aspirant écrivain, Étienne Kapuscinski, qui quitte Bruxelles, son mariage et son métier pour gagner Rome et assister au tournage de La cité des femmes de Fellini. Toute ressemblance avec Stefan Liberski, parti lui-même à Rome pour assister au même tournage fellinien en « témoin privilégié » n’aurait, bien sûr, rien de fortuit. L’anecdote autobiographique donne une saveur testimoniale jouissive aux apparitions du maestro, campé en génie sur le déclin, manipulateur, égocentrique et jaloux de son harem. Continuer la lecture

Jean Rochefort et la littérature belge au cinéma

PARIS: emission

Le comédie français Jean Rochefort est décédé ce 9 octobre à l’âge de 87 ans. Sa filmographie, prestigieuse et particulièrement riche, compte notamment des adaptations pour le cinéma de romans d’auteurs belges francophones.  Continuer la lecture

Écriture, lune de miel, et autres abeilles

Un coup de cœur du Carnet

Jean-Philippe TOUSSAINT, Made in China, Paris, Minuit, 2017, 188 p., 15 €/ ePub : 10.99 €, ISBN : 9782707343796

toussaint made in chinaDans Made in China, entre roman, fiction et réalité, l’auteur de Football retrace ses tribulations de tournage dans l’ancien Empire du Milieu.

On avait laissé Jean-Philippe Toussaint nous dévoiler, durant l’été 2015, une robe toute en miel, portée par une mannequin lors d’un défilé de mode, et poursuivie par un essaim d’abeilles : son court-métrage The Honey Dress, réalisé en Chine à partir d’un épisode de son roman Nue, était alors présenté à Bozar, durant l’exposition « Les Belges. Une histoire de mode inattendue ». Lorsqu’on a proposé à Jean-Philippe Toussaint d’effectuer un premier voyage en Chine, et qu’on lui a demandé quelles étaient ses conditions, l’écrivain et réalisateur n’en n’a formulé qu’une : « Rester longtemps. » C’est sans doute pour cela que, depuis le début du 21e siècle, et bien avant The Honey Dress, il s’est rendu à plusieurs reprises à Pékin, à Shanghai, à Guangzhou, à Changsha, à Nankin, à Kunming, à Lijiang. Et qu’il est revenu encore à Guangzhou. Nous qui ignorons beaucoup de choses sur la Chine (vous avez une idée des distances séparant ces mégapoles, vous?) et notamment de ce qu’il en est là-bas du monde de l’édition (pour ne s’en tenir qu’au mandarin), nous n’imaginions pas qu’il y ait eu pratiquement à chaque fois derrière ces voyages, son éditeur chinois (accessoirement aussi, celui de Beckett et de Robbe-Grillet). À la fois homme de lettres, professeur aux Beaux-Arts, directeur d’un centre d’art, peintre estimé, Chen Tong, c’est son nom, est également chef d’entreprises en tout genre, producteur de films, et le “leader of the gang” de quelques jeunes Cantonais qui gravitent dans son orbite et ses affaires, là où le commerce et les arts ont souvent partie liée. Continuer la lecture

Où l’on se tient, une fois de plus, en compagnie d’un être intense

Un coup de cœur du Carnet

Véronique BERGEN, Luchino Visconti. Les Promesses du crépuscule, Les Impressions Nouvelles, 2017, 224 p., 17 €/ePub : 12.99 €, ISBN : 978-2-87449-459-8

bergen viscontiVéronique Bergen aime les intenses.

On le sait.

De livre en livre, elle nous a déjà tiré le portrait d’une belle brochette d’individus non seulement vivant à cent à l’heure mais dont la présence, l’intensité de leur présence, l’incandescence de leurs œuvres, n’arrêtent pas de nous attirer façon trou noir. Après Edie Sedgwick, Marilyn Monroe, Unica Zürn et Janis Joplin, voilà que Véronique Bergen s’attèle maintenant, dans un superbe essai, au cinéma de Luchino Visconti.

Mais oui ! Continuer la lecture

Soirée Maeterlinck à la Cinematek le 15 mai

tourneurUne conférence, puis un film : la Cinematek consacre sa soirée du 15 mai aux liens entre littérature et cinéma. Plus précisément, ce seront Maurice Maeterlinck et ses adaptations cinématographiques qui seront mises à l’honneur, au cours d’une soirée intitulée « Maeterlinck et le cinéma des années dix : Stratégies autour de l’adaptation cinématographique« .

À lire : tous nos articles "littérature et cinéma"

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Boulevard du polar au BiFFF le 14 avril

Le festival international Boulevard du Polar aura lieu du 16 au 18 juin 2017. Mais il prend un peu d’avance en installant ses quartiers au BiFFF ce vendredi 14 avril dès 14h pour une session consacrée aux liens entre écrit et écran, version polar. Au programme : des rencontres avec des auteurs et spécialistes du polar, une projection de film et, côté belge, une lecture d’extraits du prochain roman de Nadine Monfils par Zidani. Continuer la lecture

Béatrix Beck au cinéma

la confessionCe mercredi 8 mars sort sur grand écran La confession, adaptation cinématographique du roman de Béatrix Beck, Léon Morin, prêtre. Paru en 1952 chez Gallimard, ce livre avait valu à son auteure le Prix Goncourt.

La confession est un film du réalisateur français Nicolas Boukhrief, mettant notamment en scène Romain Duris et Marine Vacth.

À lire : le numéro thématique du Carnet et les Instants "Littérature et cinéma"

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L’innamoramento de deux ‘mature love’

Un coup de coeur du Carnet

Clara MAGNANI, Joie, Sabine Wespieser, 2017, 175 p., 17 €/ePub : 11.99 €   ISBN : 978-2-84805-214-4

magnani« Toutes nos histoires se valent, parce qu’il n’y en a jamais qu’une seule. Celle du temps qui fiche le camp », peut-on lire en dernière page de Joie, le premier roman de Clara Magnani. Et si l’écriture n’était pas autre chose qu’un moyen de fixer ce temps, en particulier quand il s’agit de se souvenir d’une passion, d’une belle et grande histoire d’amour, comme celle décrite ici.

Le roman tient en trois volets. Celui d’Elvira qui, à la mort brutale et inattendue de son père de 70 ans, découvre dans ses affaires un manuscrit où il évoque l’amour intense qu’il éprouve pour une Belge : Clara… Magnani, grande critique belge de cinéma (excusez du peu !) qu’il a rencontrée à l’occasion d’une interview. Elvira décide de prendre contact avec Clara, la fille avec l’amante. Continuer la lecture

Maeterlinck, entre littérature et cinéma

Christian JANSSENS, Maurice Maeterlinck, un auteur dans le cinéma des années dix et vingt, Bruxelles, P.I.E. Peter Lang, coll. « Repenser le cinéma », 2016, 271 p., 36 €   ISBN 978-2-87574-349-7

janssensChristian Janssens étudie de manière fouillée l’adaptation filmique des œuvres de Maeterlinck entre 1910 et 1929. Fortement arc-bouté sur le système conceptuel de Pierre Bourdieu, cet ouvrage savant envisage l’écrivain non comme un « créateur » plus ou moins doué, mais comme un agent de production en relation avec d’autres agents : critiques littéraires, directeurs de théâtre, cinéastes, musiciens, etc. Chacune de ses œuvres, à son tour, entre en relation avec d’autres œuvres, tant de lui-même que d’adaptateurs ou d’écrivains tiers. « Ces rapports sont des rapports de concurrence, de compétition » affirme clairement C. Janssens, pour qui la position objective de l’écrivain dans le champ culturel s’explique non par l’influence du milieu ou le génie créateur, mais par les rapports de force entre les différents agents concernés. Ainsi conçue, l’approche sociologique ne pouvait que comporter une dimension historienne, car les rapports de force précités évoluent constamment, mais aussi une forte composante économique : diffusion primaire des textes, rôle de la presse et de la notoriété, apparition de produits dérivés (mises en scène, traductions, partitions musicales, adaptations filmiques), puissance des « centres » internationaux (maisons d’édition, compagnies cinématographiques), phénomènes de mode, etc. Continuer la lecture

De quoi est faite l’amitié en littérature ?

Jean-Louis ÉTIENNE, Jean Ray / Thomas Owen. Correspondances littéraires, Préface d’Arnaud Huftier, Postface d’Anne Neuschäfer, Valenciennes, Presses Universitaires  de Valenciennes, 2016, 302 p., 19 €, ISBN : 13 9782364240513

etienneCommençons par la préface qui cadre bien les enjeux du livre. Arnaud Huftier y fait remarquer l’importance du « principe associatif » dont use la critique : un nouvel auteur est comparé à un auteur bien connu. Comparaison nécessairement réductrice car elle néglige des qualités de l’écrivain mais aussi d’autres aspects du champ littéraire. Mais, à terme, elle permet cependant  à ce nouvel auteur de jouer de cette référence, de se positionner et de se construire une personnalité littéraire propre, en accentuant ce qui le différencie de l’auteur à qui il est comparé : il peut devenir « autonome ». Avant éventuellement – mais après combien de temps ? – de devenir lui-même une référence. C’est ainsi que l’on a qualifié Jean Ray d’« Edgar Poe belge » ou de « Lovecraft flamand », avant qu’il ne devienne lui-même la référence pour Thomas Owen. Continuer la lecture

Le Jean Ray d’Henri Vernes

Henri VERNES, Thierry MORTIAUX, Jean Ray, 14 rue d’Or, préface de Jean-Baptiste Baronian, La pierre d’alun, coll. « La petite pierre », 2016, 141 p., 36 €

vernesHenri Vernes s’honore d’une amitié de vingt ans avec Jean Ray. Après diverses préfaces et postfaces, il propose maintenant un texte de plus grande ampleur. Son livre oscille entre souvenirs personnels et réflexions sur l’art littéraire de Jean Ray.

Il rencontre le Gantois en 1943, alors que celui-ci publie beaucoup, des textes majeurs, qui sont aussi des succès de vente. L’après-guerre est cependant une période plus terne pour Ray qui croit son heure passée. Mais Vernes, qui devient un auteur de référence chez Marabout, conçoit un projet de réédition. Il apporte aujourd’hui des précisions sur les circonstances de ces rééditions, particulièrement celles des Harry Dickson, auxquels Ray ne semblait plus croire du tout. H. Vernes a également été impliqué dans les négociations avec Alain Resnais pour l’adaptation au cinéma d’Harry Dickson, et explique les raisons de l’abandon du projet. Continuer la lecture

Lire ou relire Jean Ray ? Oui et oui

Un coup de coeur du Carnet

Jean RAY, Les contes du whisky, Paris, Alma, 2016, 283 p., 18 €
Jean RAY, La cité de l’indicible peur, Paris, Alma, 2016, 253 p., 18 €

ray whiskyLa question de la disponibilité des droits ayant trouvé une solution, les éditions Alma se lancent aujourd’hui dans un nécessaire et ambitieux programme de rééditions de Jean Ray. Comme le dit Arnaud Huftier, maître d’œuvre de ce travail, on a malheureusement perdu une génération de lecteurs. Il faut maintenant tenter de réimposer le nom de Jean Ray dans l’univers francophone dont il était presque totalement absent depuis la fin des années 80 et les publications chez NéO, si l’on excepte les trois titres disponibles dans la collection Espace Nord. Par contre, il n’a jamais cessé d’être édité dans d’autres langues et est encore considéré aujourd’hui, en dehors du domaine francophone, comme un auteur majeur de la littérature et pas seulement de la littérature de l’étrange. Continuer la lecture

Dans le prisme de Rio

Evelyne HEUFFEL, Palmes dans l’azur. Roman bossa-nova, Ker éditions, 2016, 180 p., 12 €

heuffelIl est des auteurs de chez nous dont la terre d’élection – réelle et littéraire – se situe bien loin des banquets à la Bruegel, des canaux de Bruges ou des pavés bruxellois. Illustratrice, traductrice et écrivaine, Evelyne Heuffel s’est laissée charmer par le Brésil à 18 ans et y a posé ses malles dès 1981, d’abord sur la côte de Recife puis plus au sud, à Rio de Janeiro. Il y a fort à parier que le regard que pose sa candide héroïne – débarquée à Rio en 1967 autant par amour pour Otávio que par curiosité pour ce pays singulier – sur une Rio tantôt mouvante, tantôt émouvante, tantôt décevante doit peu ou prou à la propre expérience de la romancière à la lisière de l’adolescence. Continuer la lecture

André Dartevelle, du silence familial à la mise en images de la parole

André DARTEVELLE, Si je meurs un soir. Mémoires, Cuesmes, Éditions du Cerisier, coll. « Place publique », 2016, 277 p., 16€

André Dartevelle fut un grand reporter de télévision, ainsi que l’auteur fécond de nombreux documentaires historiques et artistiques. En 2014, il présentait ses derniers films, consacrés aux massacres de civils perpétrés par l’armée allemande en août 1914 à Dinant et en Ardenne. Atteint d’un cancer, il manifesta jusqu’au bout la ténacité et la créativité qui le faisaient vivre en parvenant à terminer ses mémoires, aujourd’hui publiés au Cerisier sous le titre Si je meurs un soir. Continuer la lecture

Henri Michaux « en appel de visages »

Il flotte à la Bibliotheca Wittockiana une atmosphère envoûtante de sérénité. À la fois en retrait du monde et en son cœur même, ce musée unique, consacré à la reliure d’art, nous rappelle le respect dû à la seconde invention capitale de l’humanité, après la maîtrise du feu : le Livre. Continuer la lecture