Archives par étiquette : rentrée littéraire 2022

Le Grand Inventaire

Stefan LIBERSKI, Teo malgré, Onlit, 2022, 14 €, ISBN : 9782875601612

Qu’en un lieu, qu’en un jour, un seul fait accompli
Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli.
Boileau, dans L’Art poétique (chant 3, vers 45-46)

liberski teo malgréIl y a quelque chose du théâtre classique dans Teo malgré, le dernier roman de Stefan Liberski, publié chez ONLiT.

Unité de lieu.

Unité de temps.

Unité d’action. Continuer la lecture

L’envol d’un colibri

Marie COLOT, 113 raisons d’espérer, Magnard jeunesse, coll. « La brève », 2022, 77 p., 8,90 € / ePub : 6,49 €, ISBN : 9782210974739

colot 113 raisons d'espérerMarie Colot publie un nouvel opus dans la collection « La brève » chez Magnard jeunesse, caractérisée par des textes courts disponibles dans un format à lire et à écouter. Nous découvrons ici le jeune Noé, 14 ans, écrasé par un monde trop angoissant pour lui. Conscient de la grave crise climatique dans laquelle nous sommes plongés, il rédige des listes pour se donner l’illusion de tenir les drames à distance.

Empêtré dans une forme de torpeur à cause de la sixième extinction de masse, il est horrifié face à son frère Louis qui vit sa vie d’adolescent insouciant et ses parents qui ont décidé d’avoir un nouvel enfant. Il se sent bien seul avec ses peurs, s’isole de plus en plus de ce qu’il considère comme l’inconscience humaine, il est qualifié de sensible et de pessimiste. Le voilà figé dans un piège dont il ne voit pas l’issue, ce qui rend la communication avec lui parfois difficile tellement le sujet le tient à cœur. Continuer la lecture

Enfin de ses nouvelles…

Émile VERHAEREN, Contes de minuit et autres nouvelles, établissement de texte et postface de Christophe Meurée, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2022, 180 p., 9 €, ISBN : 9782875685681

verhaeren contes de minuit et autres nouvellesÉmile Verhaeren est depuis longtemps reconnu comme un des sommets de la poésie belge de langue française. Il faut se replonger dans ses Villes tentaculaires pour retrouver quelque harmonie au tumulte de nos errances urbaines ; il faut réécouter ses rythmes, palper ses images : Verhaeren n’est pas un classique de manuel, il parle à notre époque.

Et voilà que le monstre sacré parvient à dérouter le lecteur, plus d’un siècle après sa mort. On le connaissait poète, on savait ce que la postérité et la bonne intelligence de certains peintres, dont Ensor, devaient à sa plume. Quelques-uns parmi nous avaient entendu parler de son théâtre, sans l’avoir vu joué. Mais peu nombreux de nos contemporains avaient lu ses nouvelles. Cette élite regroupait les érudits, les passionnés, les spécialistes. Comptons dans le nombre Christophe Meurée, qui a mis toute sa science et son bon goût dans l’établissement des textes et dans la postface de l’anthologie qui nous occupe ici. Continuer la lecture

Dans la voie du féminisme

Marie-Louise HAUMONT, Le trajet, Postface de Daniel Laroche, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2022, 398 p., 9 €, ISBN : 978-2-87568-569-8

haumont le trajetInitialement paru en 1976 aux éditions Gallimard, le roman Le trajet de Marie-Louise Haumont (récompensé alors par le prix Femina) est aujourd’hui réédité dans la collection Espace Nord et assorti d’une postface de Daniel Laroche. Née en 1919 et décédée en 2012, Marie-Louise Haumont, écrivaine belge, reste encore peu connue dans nos contrées, en raison sans doute, comme l’explique le postfacier, de la production littéraire « peu variée et quantitativement modeste » de celle-ci.

Je vivais dans l’avenir comme les vieillards vivent dans le passé, mais le passé ne laisse aucune place à l’inconnu tandis que moi j’étais sans cesse à la croisée des chemins, m’engageant dans l’un, puis dans l’autre, essayant, brouillonnant, effaçant pour trouver mieux […]. J’étais, au propre, maîtresse de mon sort et gouvernante du destin de tous les personnages qui partageaient mon existence secondaire.  Continuer la lecture

Que serais-je sans toit ?

Un coup de cœur du Carnet

Christine VAN ACKER, Le peuple d’ici-bas. Christine Brisset, une femme ordinaire, Esperluète, 2022, 208 p., 22 €, ISBN : 9782359841602

van acker le peuple d'ici basSi l’on vous demande de citer le nom d’une personne qui s’est illustrée dans la lutte contre la misère et pour l’accès au logement dans l’immédiat après-guerre, il est fort probable que le nom de l’Abbé Pierre vous viendra en premier à l’esprit, du moins s’il vous en vous vient un. Certainement pas celui de Christine Brisset. Sans doute de quoi illustrer l’adage qui veut qu’une femme se cache souvent derrière l’homme célèbre… Et pourtant, pendant plus de quarante ans, cette pionnière de l’action sociale a multiplié les initiatives novatrices dont celle du squat et de la construction collective de logements. Établie à Angers, mariée à un riche industriel, elle n’a eu de cesse de rompre avec les codes sociaux liés à son rang et de se poser en première ligne des combats pour le logement alors que la France, au sortir de la guerre, se démenait pour la reprise économique. Continuer la lecture

Anatomie des âmes

Gérard ADAM, Le maître du Mont Xin, M.E.O., 2022, 624 p., 29 €, ISBN : 978-2-8070-0350-7

adam le maitre du mont xinGérard Adam est un ogre en matière littéraire, il ne cesse d’éditer dans sa maison MEO,  de lire, de relier et de marquer de sa vigueur attentive le paysage littéraire en Belgique francophone et au-delà de nos frontières.  Encore une fois, avec Le maître du Mont Xin, il nous livre un roman hors normes. Déjà en 2008,  Qôta-Nîh avait marqué les lecteurs et la critique tant ce roman portait des questions fortes et fines à la fois à propos de la religion, déjà, de l’art de soigner, de la spiritualité,…

Le maître du Mont Xin, son dernier opus,  se donne à lire généreusement… L’auteur fait en sorte, dans sa volupté romanesque, que le monde prenne place dans cette histoire aux multiples bifurcations. Tout autant roman d’aventure que quête spirituelle, l’auteur instille un patient réquisitoire contre les hystéries religieuses et développe surtout une remarquable réflexion sur les liens qui nouent les cultures, les civilisations qui s’opposent, puis se relient, avant de se transformer… Gérard Adam traque les différences pour en relever, dans le même temps, les étranges configurations des contraires qui deviennent avec le temps de surprenantes, et parfois, monstrueuses, similitudes. Continuer la lecture

L’univers carcéral en Nouvelle-Calédonie

Chantal DELTENRE, Camp Est. Journal d’une ethnologue dans une prison de Kanaky Nouvelle-Calédonie, Postface de Marie Salaün, Anarcharsis, coll. « Les ethnographiques », 228 p., 16 €, ISBN : 9791027904440

deltenre camp estEthnologue, écrivaine, autrice de La maison de l’âme (Editions Maelström, 2010), Chantal Deltenre livre dans Camp Est un journal de terrain qui évoque la mission d’observation ethnograhique en milieu carcéral dont elle a été chargée. Étrangère à la culture kanak, au monde calédonien et extérieure à l’institution pénitentiaire, elle côtoie durant un mois le « Camp Est » situé sur l’île de Nou, une prison de Nouméa dont elle décrit et analyse le fonctionnement, les cercles de violence physique, structurelle, sociale, symbolique, mais aussi les enjeux et l’impensé. Le récit est avant tout celui d’un dépaysement, d’un saut dans un monde doublement inconnu (culture kanak, monde mélanésien et espace carcéral), d’une attention à la dimension coloniale de l’institution pénitentiaire. Toujours placée sous la souveraineté de la République française, la Nouvelle-Calédonie a très tôt été conçue par la France coloniale comme une terre de bagnes sur laquelle expédier les détenus de droit commun ou politiques (quatre mille Communards, dont Louise Michel, furent transférés dans des pénitenciers calédoniens). Ce qui frappe Chantal Deltenre, ce sont les suicides des jeunes détenus, la composition de la population, à majorité kanak (90% de détenus kanak, presque toujours issus de quartiers défavorisés, de squats), la minorité de prisonniers caldoches, d’origine européenne, la crise identitaire, psychique que l’enfermement induit. Continuer la lecture

Le collectionneur d’expériences

Thomas LAVACHERY, Le Netsuke, Esperluète, 2022, 192 p., 22 €, ISBN : 9782359841572

lavachery le netsukeDans Le netsuke, le nouveau roman de Thomas Lavachery, le narrateur Jacques Mellery raconte avec une tendresse douce-amère la fin de son adolescence. À cette époque, il passe ses journées hors de sa maison, dénuée de présence maternelle (par la mort) et paternelle (par l’effacement). En-dehors de l’école, où il ne brille pas par son implication, il explore sa commune et fréquente aussi bien les esseulés que les familles de ses camarades au sein desquelles il se voit accueilli avec évidence. Encore maintenant, « [il] ignore ce qui plaisait en [lui] mais [il] ne devai[t] pas en faire beaucoup pour [s]e faire accepter ». Peut-être était-ce dû à sa plasticité sociale, sympathique petit caméléon lui qui « changeai[t] de manière d’être, de parler, en fonction des personnes avec qui [il] se trouvai[t] ». Continuer la lecture

Pleinement corps

Un coup de cœur du Carnet

Maud JOIRET, JERK, Arbre de Diane, coll. « Les deux sœurs », 2022, 12 €, ISBN : 978-2-930822-21-1

maud joiret jerkD’une ténacité comparable à celle d’une plante de bitume, l’écriture de Maud Joiret brise le socle des représentations, le roc des habitus dans lesquels nos corps sont empêtrés. Le premier opus de la poétesse, Cobalt (récompensé par le Prix de la Première Œuvre de la Fédération Wallonie-Bruxelles) en traçait déjà le sillon. Cobalt explorait la (dé)construction du « moi », colorant de bleu les particules qui s’échangent entre le dehors et le dedans par le prisme du 27e élément du tableau périodique de Mendeleïev. Continuer la lecture

Prix littéraires 2022 : la liste du 2 octobre

Alors que la plupart des grands prix d’automne ont livré leurs premières sélections, voici un récapitulatif des auteurs et autrices belges lauréat.e.s ou finalistes de prix littéraires belges ou étrangers depuis le 1er janvier 2022.

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Une armure de douceur

Un coup de cœur du Carnet

Violaine LISON, Vous étiez ma maison, dessins de Manon GIGNOUX, Esperluète, 2022, 96 p., 18 €, ISBN : 9782359841596

lison vous etiez ma maison vfJ’ai quitté la ville, le fleuve, le nœud coulant des jours. […]
Quitté mes semelles de goudron pour mes pieds de terre rouge et d’herbes hautes.

Cinq verbes, treize lunes, une année de lundis dans la forêt. Partir, naître, engranger, transmettre, renaître. Une année d’apprentissage et de retrouvailles avec le dedans et le dehors, une année pour démonter brique par brique les murs entre soi et le monde. C’est une histoire de fil tiré cousu cassé, une histoire de passage et de rapiéçage qu’écrit Violaine Lison avec des mots qui froissent les paumes et caressent le cœur, dans une langue sensuelle et saisissante qu’accompagnent les dessins de Manon Gignoux. Continuer la lecture

Au nom de tous les miens

Un coup de cœur du Carnet

Bruno HUMBEECK, Comment agir face au cyber-harcèlement, Renaissance du livre, 2022, 170 p., 20 € / ePub : 9,49 €, ISBN : 978-2-507-05750-3

humbeeck comment agir face au cyberharcelementBruno Humbeeck, psychopédagogue à l’Université de Mons spécialisé dans les questions familiales et scolaires, fait le point dans son nouvel opus sur un phénomène désormais impossible à qualifier de rare et anodin: le cyber-harcèlement chez les jeunes.

L’auteur prend le temps de développer le mode de fonctionnement du cyber-harcèlement et ses enjeux, tant du côté de la victime que de l’auteur des faits, qui agit généralement en « meute ». L’univers numérique est vu comme une caisse de résonance augmentant la nocivité du harcèlement classique, à l’aune de la viralité et de la virulence des commentaires émis sur les réseaux sociaux. Continuer la lecture

La littérature par le menu

COLLECTIF, La cuisine de nos écrivains, Académie royale de langue et littérature françaises de Belgique, 2022, 130 p., 15 €, ISBN : 9782803200672

collectif la cuisine de nos écrivains« Il n’y a que les imbéciles qui ne soient pas gourmands. On est gourmand comme on est artiste, comme on est poète ».

Incitant le lecteur au péché de gourmandise, Yves Namur cite Guy de Maupassant dans son introduction aux actes du colloque consacré à La cuisine de nos écrivains qui s’est tenu en octobre 2021, à l’occasion du centenaire de l’Académie royale de langue et littérature françaises de Belgique. La gourmandise est en effet de mise pour évoquer un sujet d’une telle ampleur. C’est que les écrivains ne manquent pas, qui ont fait de la nourriture un sujet à part entière  ou la métaphore de leur art, et du repas, le subtil décor de leur roman ou le symbole de l’appartenance sociale de leurs personnages. Et que l’on ne s’y trompe pas, les auteurs et autrices dont il est question ici, « nos écrivains », sont belges ou français. Ce sont les écrivains de notre patrimoine littéraire, ceux qui ont façonné (et façonnent encore) notre imaginaire. La gourmandise, comme la littérature, n’a pas de frontière. Continuer la lecture

Divine aux deux visages

Catherine LOCANDRO, Le portrait de Greta G., Les pérégrines, coll. « Les audacieuses », 2022, 304 p., 19 €, ISBN : 979-10-252-0565-5

locandro le portrait de greta gAprès deux romans pour la jeunesse, Catherine Locandro revient à la littérature générale avec Le portrait de Greta G. Changement de public, mais point de genre : comme auparavant avec le roman pour adolescents Cassius (évocation de Mohamed Ali parue chez Albin Michel, qui a remporté le prix Première – Victor en 2021), ce sont les terres de la biofiction que l’autrice arpente ici. Elle s’attache cette fois à l’icône hollywoodienne Greta Garbo (1905-1990). Continuer la lecture

Prix Senghor 2022 : une lauréate et des mentions

Le prix Senghor du premier roman francophone et francophile, ou prix Senghor, a livré son verdict et distingue trois romans. Continuer la lecture

L’évidence des dieux

Un coup de cœur du Carnet

Luc DELLISSE, Parler avec les dieux, Éléments de langage, 2022, 70 p., 14 €, ISBN : 978-2-930710-22-8

dellisse parler avec les dieuxIl est des mots que le pluriel trivialise. La multiplication ne leur sied pas, ils y perdent leur jalouse exclusivité, leur pouvoir absolu. Mais s’appliquant à « Dieu », le pluriel permet de renouer avec une dimension singulière de la divinité : « C’est un sentiment diffus, un rêve, le souvenir d’un rêve ».

Les lecteurs de la poésie et des nouvelles de Luc Dellisse savent le rapport privilégié, amoureux même, qu’il entretient avec l’idée de risque. Ils en feront à nouveau l’expérience, avec un cran d’audace supplémentaire, en suivant le dialogue qu’il ose entamer avec « les dieux ». En païen ? L’étiquette a connu trop de démêlés avec le monothéisme pour être clairement définie, trop de déviances avec un ésotérisme tantôt folklorique, tantôt inquiétant, pour ne pas être disqualifiante. En artiste, alors ? Les artistes ont parfois de grandes difficultés à se quitter des yeux et redoutent que même l’invisible les éclipse. Les dieux sont rarement leur affaire. Continuer la lecture