Archives par étiquette : Pierre-Yves Soucy

Poésie de la sensation originaire

Pierre-Yves SOUCY, De si près, l’ici du corps, Lettre volée, 2023, 72 p., 15 €, ISBN : 9782873176181

Soucy De si près l'ici du corpsS’ouvrant sur une citation du poète et peintre chinois Mang Ke — « Non nous n’avons rien dit / Rien que le langage de la chair » —, laquelle citation brille comme un portique éclairant la « Stimmung » du recueil, De si près, l’ici du corps déroule une partition poétique en quatre parties. L’expérience poétique que Pierre-Yves Soucy élabore au fil d’une œuvre d’une haute tenue s’enracine dans le trouble d’un sensible qui éveille la chair à ses possibles, à sa rencontre avec l’autre comme avec ses propres vertiges. L’horizon sous lequel se tient la pensée poétique de Pierre-Yves Soucy a pour dessein l’exploration d’une sensation originaire, du chiasme merleau-pontyen du senti et du sentant que l’auteur prolonge dans le creusement d’une rencontre en intériorité entre la chair des mots et l’espace muet des corps. Son aptitude à capter les épiphanies rares d’un toucher qui brise la « solitude des chairs », d’un désir qui rencontre l’énigme de l’autre et la sienne propre extrait du vivre des moments où les chairs frôlées ou nouées communient dans la tension du vivre. Continuer la lecture

Rentrée littéraire 2023 : abondance et diversité

rentrée littéraire 2023

Le rituel est connu : chaque année en juin, les maisons d’édition dévoilent le programme de leur rentrée littéraire. Et lectrices et lecteurs de partir en vacances avec la certitude de trouver en librairie, dès la mi-août, pléthore de nouveaux livres qui adouciront à n’en point douter le retour à la vie professionnelle.

Cette année encore, auteurs et autrices belges seront nombreux à participer à ce temps fort de l’année éditoriale. La rentrée littéraire est traditionnellement associée au roman. Il ne sera pas, loin s’en faut, le seul genre à faire l’actualité cet automne, mais il en sera certainement l’un des points névralgiques. Tour d’horizon des sorties annoncées. Continuer la lecture

Du geste graphique et poétique

Un coup de cœur du Carnet

Pierre-Yves SOUCY et Olivier SCHEFER, Vertiges de la main, Lettre volée, 2022, 80 p., 18 €, ISBN : 9782873175641

soucy schefer vertiges de la main« Que fait un poète lorsqu’il dessine ? ». Par sa question inaugurale, Olivier Schefer interroge avec brio les créations graphiques de Pierre-Yves Soucy en les confrontant aux créations poétiques. Dans les dessins au fusain, dans le dynamisme des traits, les frottages, les précipités de strates, notre œil perçoit une poétique des traces, des empreintes et des échos. En poésie et dans les arts plastiques, graphiques, Pierre-Yves Soucy se livre à une exploration des interstices. Creusant, laissant affleurer les signes, les formes, à tout le moins leur ébauche, il travaille sur l’inchoatif et l’estompement, dans le respect des matières (matière des mots, matière du visible, des traits) qu’il approche, que la main et que l’œil écoutent. Continuer la lecture

Pierre-Yves Soucy. Poésie des confins

Pierre-Yves SOUCY, D’un pas déviant, Fragments de l’attente, Lettre volée, 2020, 144 p., 19 €, ISBN : 9782873175443

Les rivages poétiques auxquels Pierre-Yves Soucy accoste dans son dernier recueil se singularisent par une géographie de l’attente et de la promesse. L’œuvre poétique qu’il construit ne cesse d’approfondir l’espace d’un verbe à venir au sens où Blanchot parlait du livre à venir. Le recueil D’un pas déviant. Fragments de l’attente met en abyme le pouvoir des mots, leur impouvoir aussi, dans une langue qui sécrète ses conditions de possibilité. Les territoires qu’il arpente sont ceux du verbe et de son avant (la partie « Ce qu’il y a toujours… avant les mots »), ceux du temps, d’un réel en suspens dont Pierre-Yves Soucy capte le double phénomène d’apparition et de dissipation. La langue est au diapason de cette phénoménologie du surgissement et du retrait, en proie au battement entre inscription et effacement. Continuer la lecture

Pierre-Yves Soucy. L’espace poétique

Pierre-Yves SOUCY, Reprises de paroles, Lettre volée, 2018, 64 p., 14 €, ISBN : 9782873175191

Poète, essayiste, auteur d’une œuvre exigeante, traducteur, rédacteur en chef de L’Étrangère, Pierre-Yves Soucy délivre dans Reprises de paroles un espace poétique construit en quarante-huit tableaux. Toute parole n’est que reprise dès lors que les sources font retour, que les mots remontent les siècles. Offrant une sépulture de vocables à Antigone, Pierre-Yves Soucy écrit depuis la tragédie d’Antigone mais aussi par-delà, tissant un dialogue infini avec la voix de celle qui défia les lois de la cité, le pouvoir que condense le nom de Créon. En tant que foyer poétique dans un temps de détresse, Antigone interpelle notre présent, ses déséquilibres, ses désarrois. Elle est celle qui se tient face à ce qui est, qui transgresse les lois édictées par le maître des lieux. En quarante-huit tableaux, l’irréparable étend sa logique. Interpolant des vers de Sophocle placés en italique, le poète épure la scène tragique, ne convoquant aucun nom, taisant Créon, Polynice, Étéocle pour mieux écouter ce qui s’arrache de l’ombre des millénaires : le conflit entre la voix éthique et la violence de l’État, la guerre entre le corps qui donne abri au mort privé de sépulture et le principe de la Realpolitik qui châtie la rébellion. Continuer la lecture

Le monde comme transfiguration

Pierre-Yves SOUCY, Neiges. On ne voit que dehors, Bruxelles, La Lettre Volée / Ante Post, 2015, coll. « Poiesis », 78 p.

soucy.jpgOuvrir Neiges, de Pierre-Yves Soucy, c’est entrer dans un monde éthéré, austère, presque abstrait, apparemment dépourvu de chaleur ou de sensualité. Y alternent sans relâche fragments de paysages le plus souvent minéraux (cimes, déserts, villes, torrents, ciels, sources), détails du corps (yeux, peau, bouche, lèvres, épaules, genoux, paupières surtout), météores (givre, hiver, neige, giboulées, éclaircie, grésil), états de la conscience (fièvre et désir, doute, silence, incertitude, anxiété, méprise, oubli), mille mouvements de diverses sortes mais toujours indociles : débâcle, bourrasques, tremblement, errance, torrents, désordres, désastre, déflagrations, battements, rafales, salves, etc.  Toutes les constructions mentales qui pourraient fixer le sens ou l’organiser sont battues en brèche : « suppriment l’étreinte de nos convictions » (p. 9), « le doute pulvérise toute pensée » (p. 10), « jusqu’à nous détacher du récit » (p. 14), « l’espérance d’une partition » (p. 15), « fausses couches de nos légendes » (p. 16), « la rotation […] déracine nos fictions » (p. 18), « les malentendus s’inventent. » (p. 24)  Bref, le tableau qui s’offre au lecteur est de nature profondément chaotique : ce long poème – car il ne s’agit pas d’un recueil – semble avoir pour propos la défaite ou l’impossibilité de l’unité, l’insistance sur tout ce qui délie et se délie, l’incoercible instabilité du monde, sinon son inhabitabilité. Continuer la lecture