Archives par étiquette : Pascal Leclercq

Recoudre le corps du vivant…

Un coup de cœur du Carnet

Pascal LECLERCQ, Dans un pays pourtant phénoménal, dessins de Benjamin Monti, Herbe qui tremble, coll. « D’autre part », 2022, 88 p., 13 €, ISBN : 9782491462406

leclercq dans un pays pourtant phenomenalSi nous suivons avec attention, depuis plusieurs années, la production de Pascal Leclercq, c’est sans doute dans l’attente du plaisir de retrouver, à chaque nouvelle parution, une musique bien personnelle. Même s’il reste discret, l’auteur poursuit à travers ses différentes activités de traducteur, de critique, de romancier ou d’animateur de la revue Boustro une œuvre cohérente et exigeante. Avec ce dernier recueil de textes en prose, Dans un pays pourtant phénoménal, il consolide un peu plus encore son architecture intime. Depuis une quinzaine d’années déjà, l’auteur affine ses positions, creuse toujours plus profond le sillon de ses obsessions, de ses interrogations. Dans ces sept parties composées chacune de sept textes courts, l’écorce des narrateurs ne cesse de se fissurer au contact d’un monde qui court toujours plus vite. Un monde à bout de souffle et souvent burlesque mais dont l’accélération inévitable imprime sur les corps d’insignes cicatrices. Blessures indélébiles que le poète tente de recoudre vaille que vaille même s’il pressent que l’opération restera vaine. Continuer la lecture

Lignes de fuite

Denis PEPIC, Déchitectures, Boustrographe et Le Comptoir, coll. « Boustrographies », 2021, 10 €, ISBN : 978-2-931175-02-06

pepic dechitecturesJ’accuse réception
des langues désertes
non pas enfouies
mais bien cocasses
facile à becqueter
comme un pivert
dans le dos d’un arbre
dont le tronc
dans le sens du châle
se porte comme un gant 

Premier recueil du poète Denis Pepic, premier volume de la nouvelle collection « Boustrographies » co-édité par Le Boustrographe et Le Comptoir, l’épatant recueil Déchitectures a la saveur des premières fois. Il ne s’agit pourtant pas du premier texte de Denis Pepic : nous avons déjà pu le découvrir dans la revue plastique et poétique Boustro, mais également au travers de son implication dans le Groupe Chromatique (2008-2015) qui réunissait des jeunes poètes liégeois dont, entre autres, Lucien Druart et Thibaut Creppe. Continuer la lecture

Faisceau de lignes blanches

COLLECTIF, La ligne blanche, Arbre à paroles, coll. « iF », 2020,126 p., 14 €, ISBN : 978-2-8704-696-2

À l’invitation, à l’appel lancé par Antoine Wauters qui dirige la collection « iF » à L’Arbre à paroles, vingt-trois auteurs ont répondu : écrire sur ce que signifie pour eux la ligne blanche. Traversé par une crise, tenaillé par une pulsion qui se traduit en une décision — arrêter d’écrire —, Antoine Wauters voit dans la ligne blanche la manifestation du grand retrait, de l’effacement, une césure, un syndrome Bartleby. La pureté de la ligne blanche est telle qu’elle ne doit plus se traduire en mots. Le syntagme lancé aux contributeurs venus du monde du roman, de la bande dessinée, de la poésie, du journalisme s’apparente à un signifiant flottant que chaque auteur va interpréter, diffracter en récits ou en poèmes. Continuer la lecture

Ronger les mollets du poème – et plus si affinités

Un coup de cœur du Carnet

Pascal LECLERCQ, Saison six, Angle mort, 2019, 24 p., 16 €, ISBN : 978-2-9602174-4-5

Voici une suite à Journal apocryphe : cinquième saison qui paraissait chez Maelström en 2018 dans le recueil Analyse de la menace. On y retrouve les thématiques de prédilection de Pascal Leclercq : un monde qui sombre, une inquiétante urbanité, des animaux et des personnages interlopes, un corps mis en doute, trifouillé, manipulé, et une recherche sur le sens et la mise en jeu de l’écriture. Sur la broche du texte, la langue rôtit, donnant à l’absurde droit de vie et de mort, et allumant ici et là les feux brûlants de l’humour noir. Continuer la lecture

Boustro 7. La création comme indocilité

Boustro, revue plastique et poétique animée par Laurent DANLOY, Pascal LECLERCQ, Karel LOGIST et Paul MAHOUX, n°7, novembre 2018.

Dans le paysage éditorial, certaines revues portent le flambeau d’une création qui échappe aux fourches caudines de la littérature marketing. Créée en 2015 par les poètes Karel Logist et Pascal Leclercq, par les artistes plasticiens Laurent Danloy et Paul Mahoux, Boustro appartient à cette tribu de revues qui privilégient l’expérimentation et l’exploration d’univers hors normes. Passant au format A3, le numéro 7 réunit quatre plumes qui griffent le monde, y creusant des terriers — parfois stellaires — où vivre, et un artiste plasticien qui impose un cataclysme visuel en noir et blanc. Les textes de Nathalie Gassel, Maud Joiret, Christophe Kauffman et Vol-au-vent, les dessins de Monsieur Pimpant nous font quitter terre. Par-delà la singularité des cinq créateurs, une lame de fond commune, celle de l’indocilité, d’une soif d’un autre réel qui passe par la chair à vif, la fête des corps. Construisant ses textes comme elle sculpte son corps, en quête d’une compacité sémantique qui libère une beauté singulière faite de désirs mordus par la blessure, Nathalie Gassel (auteure de textes saisissants, Éros androgyne, Construction d’un corps pornographique, Abattement…, photographe) livre, sous le titre  « Frida » des stèles poétiques interrogeant l’espace obscur où gisent les défunts, les affres du corps défait. On pense à Frida Kahlo luttant avec un organisme brisé, on reçoit en instantanés chimiques une écriture qui ouvre les portes que la société prend soin de sceller. L’écriture de Nathalie Gassel n’a que faire de la joliesse d’une littérature adepte des surfaces. Elle creuse jusqu’à ouvrir le corps et entrer dans la chair.

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De l’absurde inquiétant à l’absurde apaisé

Un coup de cœur du Carnet

Pascal LECLERCQ, Analyse de la menace, Maelström, 2018, 98 p., 13 €, ISBN : 978-2-87505-302-2

Leclercq analyse de la menacePascal Leclercq a du talent. Il le prouve une fois de plus avec Analyse de la menace. Un ton onirique, humoristique et parfois cruel, dans une très belle écriture en prose, parfaitement maîtrisée, ajustée : le poète nous dépeint le monde loufouque et désespéré d’une sorte de cousin contemporain d’un certain Plume, personnage-type de l’inadapté. Cet hétéronyme, dont Leclercq narre les errances liégeoises, ardennaises et wallonnes, répond d’une manière contemporaine à son parent michalien. Écriture de l’absurde, angoisses existentielles, dénonciation d’un état du monde et d’un homme en voie de déclassement… Ce livre en plusieurs chapitres, parfaitement circonscrits dans leurs tonalités, a pour thèmes principaux la douleur de vivre et l’absurde contemporain, dans un monde soumis à l’analyse de la menace : une menace non seulement sociologique mais plus encore spirituelle. Par quel moyen en sortir ? Continuer la lecture

Tentative d’épuisement du bestiaire de Leclercq

Un coup de coeur du Carnet

Pascal LECLERCQ, Jac VITALI (ill.), Épuisé : Rue Trottechien, Demain revient de loin, Un bâton, Animaux noirs, Flandres intimes, Vandœuvre-les-Nancy, La Dragonne, 2016, 262 p., 18€   ISBN : 978-2-37584-003-0

Viens
même si tout est
perdu

Nougé

leclercqIl existe deux voies que peuvent emprunter les livres épuisés pour échapper à l’oubli. Soit ils font l’objet d’une chasse méticuleuse de la part des bibliophiles-chineurs, soit on les réédite. C’est la bonne idée qu’ont eue les éditions La Dragonne de nous proposer ce recueil anthume, Épuisé, de Pascal Leclercq et qui rassemble donc cinq textes ; trois livres parus précédemment chez le même éditeur, le recueil intitulé Rue Trottechien publié en 2000 aux éditions de L’Arbre à paroles ainsi qu’une série d’inédits, datés de 2016 et présentés sous le titre Flandres intimes. Continuer la lecture

Boustro ? Fais donc !

Un coup de coeur du Carnet

Boustro, revue plastique et poétique animée par Laurent DANLOY, Pascal LECLERCQ, Karel LOGIST et Paul MAHOUX, n° 2, juin 2016

Boustro2Quelle ébullition revuistique dans la Cité ardente, et de quelle qualité ! En décembre 2015, le premier numéro de Boustro, « fruit de rassemblements autour de l’amitié et de la recherche du bel-être » s’y multipliait à 200 exemplaires « numérotés et choyés » et essaimait hors du nid que lui avaient amoureusement ménagé pour l’occasion les éditions du Tétras-Lyre. L’empennage de ce drôle d’oiseau rassemblait Véronique Janzyk, dont les proses calibrées chutent dans le temps à la faveur d’un séjour à Corfou (là où les touristes allemands ignorent que « le silence est parfois une langue aussi ») ou dans la chambre 350, occupée par cet être cher dont le cœur est grignoté par « une cellule folle qui grandit » ; Serge Delaive, avec une suite d’épures où les accents d’une douleur lancinante se mêlent à une révolte éjaculée « debout / sous la voie lactée » ; Yolanda Castaño, poétesse espagnole dont son traducteur Frédéric Bourgeois a rendu la narquoise « beauté d’épi » de ses vers, qui circulent en ligne brisée jusqu’au rendu de la terrible sentence : « Seule la vérité rend / esclaves » ; Maxime Hanchir enfin, qui livre une série de portraits subtilement biseautés, tracés d’un fusain sensible non dénué d’ironie, doux-amer juste ce qu’il faut. Ajoutez à cela les présences flottantes et anxiogènes, silhouettes intubées et autres loups ectoplasmiques dessinés par la Marolienne de Liège Sofie Vangor, et vous obtenez un carnet de « Poésie Pur Porc », à lire à hue et à dia, de traviole et de guingois, à l’envers comme à l’endroit. Continuer la lecture

Déformation poétique

Pascal LERCLERCQ, Hélium, Iconographie et apparitions de Jac Vitali, La Dragonne, 2015, 52 p., 18 €, ISBN : 978-2-913465-90-9

leclercq_primaelleLes recueils de Pascal Leclercq sont toujours aisément reconnaissables. Principalement parce qu’ils sont beaux. Son dernier recueil, Hélium, paru aux éditions La Dragonne, ne déroge pas à cette règle. Le poète, imprimeur à ses heures, soigne l’objet : aussi Hélium  présente-t-il  « des allures d’album vinyl », notamment par son format carré et sa couverture, d’un rouge vive et presque soyeux au toucher.  Continuer la lecture